Pourquoi sommes-nous toujours fascinés par ces appareils photo cheap, mais si attirants? Parce que le reste, si parfait, si technique, nous ennuie? Certainement. Parce qu'Olympus, au lieu de s'employer quinze ans à cacher un millard et demi d'euros de dollars de dettes, aurait mieux fait d'investir dans le design? A la fin, quelque part, on doute de la capacité des grandes firmes de la photo numérique à inventer autre chose qu'un nouveau truc pour nous déposséder de notre vie en la facilitant - le grand vice moderne selon Unik! - et se dire qu'il faudrait créer du... désir. Dernière monstruosité en date dans ce genre, la publicité d'une grande marque (qu'on ne nommera pas par charité) vantant un appareil qui prend la photo tout seul, sans qu'on ait même besoin d' appuyer sur le déclencheur. Franchement, ça vous dit? C'est donc sans surprise que, pour pouvoir encore nous surprendre à faire nous-mêmes quelque chose que nous aimons bien, et nous amuse, nous allions plutôt vers des appareils néo-primitifs, comme la merveilleuse caméra à manivelle Kino-Lomo (89 euros), ou le sublime Spinner Leather Edition qui prend des photos en 360º (160 euros), ou, encore, la farce réussie de la marque La Sardina, qui multiplie des boîtiers délirants qui semblent faits d'une boîte de sardines. Say it loud, I'm cheap and I'm proud!
Holga n'est pas russe, mais chinoise, de Hong Kong, et ses appareils photo cheap au format 120mm (!) auraient dû disparaître depuis longtemps sous l'avalanche des boîtiers digitaux. Mais voilà : ses photos sont si étranges, erratiques, voire capricieuses, qu'elles sont irremplaçables à ceux qui aiment encore s'étonner de ce qui va sortir de la petite boîte. Comme le Lomo russe, Holga a été sauvé par les innombrables (quand même!) réfractaires au produit de masse, calibré pour ne pas faire d'erreur, qui finit par prendre la même photo que le voisin pour vous. Achetez-vous donc un Holga pour noël, de préférable en 120 mm, c'est plus authentique, et, pour la modique somme d'une quarantaine de dollars, vous appartiendrez au Club des Aléatoires. Ou, si vous voulez quand même vous faciliter la vie, tout en lui abandonnant volontiers un côté farfelu, couvrez votre IPhone de ce Holga Kit aux allures de vieux cadran de téléphone qui vous propose neuf filtres et effets différents sans passer par une application. Cela ressemble beaucoup à ces vieux jouets d'enfant qui vous passaient des diapositives aux couleurs délavées. L'initative vient de fans de Holga qui ne manquent pas d'esprit d'entreprise. Est-ce bien? En tout cas, c'est drôle. Et ça coûte 25 dollars. Pas très cher pour ringardiser, ou rénover complètement, votre IPhone. Ou au moins la perception qu'en ont les gens.
"Pour un photographe, amateur ou professionnel, la nouvelle technologie de Lytro signifie qu'il est débarrassé à jamais du mal de crâne de devoir faire le point sur son sujet". C'est la première phrase qui nous attend sur le site de Lytro, ce drôle d'objet qui ressemble plus à une boîte rectangulaire qu'à un appareil photo, et permet de capturer d'un coup, grâce une technologie révolutionnaire de capture de l'entièreté du champ de lumière, une scène dans tous ses détails, prête à être travaillée plus tard, quand celui qui aura pris la photo aura décidé si ce qui l'intéressait vraiment était le visage au premier plan, ou le papillon qui passe par hasard derrière. Autrement dit, dans ces photos digitales, tout est flou, et rien ne l'est. Il suffira de choisir après coup pour faire le tri en fonction de ce qu'on y découvre. Faire le point, en anglais: "focus", ce sur quoi on porte son attention. C'est donc ce mal de crâne que le Lytro veut nous épargner. Mais alors quel est le but de la photo? Et que reste-t-il de l'élan qui nous pousse à la prendre? Si plus rien n'y est cadré? S'il n'y a plus de sujet? Mais seulement quelque chose devant soi?
D'où cette question: la photographie ne serait-elle pas en train de glisser vers le fantasme la vidéo-surveillance? C'est à dire: garder une trace de tout ce qui se passe devant soi. Des choses vues et conservées, devenues matières travaillables à l'infini, à force de zooms et de logiciels. Lytro a raison. Cet appareil révolutionne quelque part la photographie. Pas tellement pour ce qu'il apporte de neuf. Rien, comparé à l'oeil d'un photographe. Mais tout dans l'idée qu'on se fait de la photographie. Pas la peine que je donne des noms. Pensez à tous les photographes que vous aimez. Ne se sont-ils pas "cassé la tête" à cadrer leurs sujets? A "faire le point" sur ce qu'ils voyaient dans un instant qui passe, et souhaitaient montrer avec leurs photographies? En simplifiant tout, les nouvelles technologies créent aussi de nouvelles complications. Certainement, des photographes viendront, qui trouveront des choses à faire avec ce Lytro. Mais honnêtement, croyez-moi, ce sera vraiment parce qu'ils se sont "cassés la tête", et grâce à ce qu'ils ont déjà vu de la photographie avant eux, au Leica, au Rolleiflex. Parce que sinon, ici, on est face à l'art du nul.
Toujours discutable, et parfois très beau, l'art de Melanie Pullen, une photographe californienne, fait grincer les dents de la mode en jouant avec ses symboles (dans la dernière photo, des chaussures Prada) et les codes de son art de la représentation (dans toutes les photos, ce sont bien sûr des mannequins, soigneusement habillées, mises en lumière, en scène) qui influence toutes nos représentations de la beauté. Tout serait donc parfait dans un monde esthétique à la David Lynch, par exemple, si les photos de Melanie Pullen n'étaient pas des reconstitutions soigneuses de scènes du crime bien réelles, documentées, reconstituées. Une obsession à la James Ellroy ("The Black Dahlia"), finalement, policière, mal famée, trouble. Presque choquante. La série des pendues, par exemple, est terrible. Que dit tant de beauté et tant d'apprêt sur le meurtre mondial et quotidien des femmes? On est très au-delà - j'espère - de l'ironie grinçante sur le terme de "fashion victims" et du second degré. Nous devons comprendre, ou essayer de, ces photographies. C'est à cette seule condition qu'il est bien qu'elles gênent.
Le choix de la lomographie, comme celui du vinyle, ou du Polaroid, étant autant une affaire d'esthétique que de morale, c'est avec bonheur qu'on accueille l'édition spéciale Freedom du Diana Mini Jiyu aux motifs d'imprimés floraux japonais. L'appareil est tout petit. Il accepte toutes les pellicules 35 mm. Offre le choix entre photos au format carré ou demi-format. Ne coûte que cent euros. Il en reste évidemment peu. N'attendez pas.
"Our eyes see very little and very badly – so people dreamed up the microscope to let them see invisible phenomena; they invented the telescope...now they have perfected the cinecamera to penetrate more deeply into the visible world, to explore and record visual phenomena so that what is happening now, which will have to be taken account of in the future, is not forgotten." Dziga Vertov
Le cinéaste soviétique d'avant-garde (pas de raison d'opposer cela systématiquement) Dziga Vertov avait filmé l'Ukraine de la fin des années 20 dans un film resté fameux et maudit (entre autres par le stalinisme): "L'homme à la caméra". Fasciné par la vitesse, la trajectoire des hommes dans la ville, qui commençait alors (seulement!) à être conditionnée par des moyens de transport qui changeaient leur vision du monde, ou du moins l'expérience qu'ils en faisaient, parce que le monde d'un biker en Harley Davidson ou d'un skateboarder est totalement différent de celui d'un paysan qui le voit défiler lentemement depuis son char à boeuf, et que c'est donc, ici, le véhicule qui a conditionné autour de lui la vie de ceux qui le montent, jusqu'à l'organiser et la définir tout entière (le Hell's Angel, le BMX bandit, le coureur à vélo etc), "L'homme à la caméra" multiplie les prises et les angles, en moto, sur une locomotive, depuis un fiacre, un tramway qui semble se cogner contre un autre jusqu'à ce qu'un aiguillage le sauve. Depuis, bientôt cent ans ont passé, et notre expérience kinétique (du mouvement, si on veut) s'est considérablement renforcée: tout le monde a pris l'avion, roulé à plus de cent à l'heure. Et notre expérience cinématographique (le cinéma, à l'origine, c'est "kinema", le mouvement, en grec, et la possibilité de l'enregistrer) aussi: tout le monde a vu depuis longtemps toutes les images possibles prises depuis une voiture de course, un avion, un drone aujourd'hui. Et le digital, loin de tuer la photographie, l'a multipliée à l'infini, avec toutes les applications à portée de main sur le même appareil, constamment sur soi depuis qu'il s'agit de plus en plus du téléphone (panoramiques, prises de vue en 360º, fisheye...) et l'a surtout rapprochée du film, puisque chaque appareil offre les deux possibilités de filmer et de photographier, avant radicalement séparées par la technique. Gopro Hero s'est développé dans la niche casse-cou, en allant là où l'appareil normal ne va pas sans casse. Pour un prix démocratique (300 US$), et conçu avec tous les accessoires permettant de le fixer sur son guidon, sa planche de surf, son kiteboard, sa tête, cette caméra sportive offre de nouvelles possibilités de garder ce qu'on a vu, dans des conditions extrèmes, ou même de voir autrement, depuis le point de vue de son skateboard, à quinze centimètres du sol, comme le montre cette vidéo prise à New York, qui change un peu la vision de la ville, de l'expérience urbaine.