Une vision de la mode affectée par le communisme, sa répression, sa haine de l'individualisme; ses sombres fascinations aussi, ses séductions, sa sévérité, ses exigences d'autocritique aux confins du sado-masochisme; et une sorte de discours critique en images, et voulu tel, c'est tellement rare que cela mérite qu'on en parle, d'autant que ce petit film pour la collection automne hiver 2011 de la styliste polonaise Karolina Smarlak est plutôt beau. Le titre, "Femmes du communisme", est très explicite. Et pervers, évidemment. Finalement, c'était bien, le communisme? Puisqu'on est séduit par ce qu'on voit, on est en droit de se dire que oui. C'est l'éternelle ambiguité du genre. On pense à Leni Riefenstahl, au défilé de nonnes de Federico Fellini, à Charlotte Rampling dans l'équivoque "Portier de nuit". Avec la beauté, à la fin, tout est beau. Et comment dénoncer le mal en beauté?
Parlons d'un défilé chargé de symboles : d'abord, cela se passe en Chine, à Pékin, pour l'ouverture, dans un luxe inoui, de la boutique Burberry, la première d'une centaine de boutiques programmées dans le pays pour offrir une expérience digitale autour de la marque du trench-coat devenue oh so chic! Pour le luxe, c'est très clair où ça se passe. Pauvre Europe! Riche Chine! Ensuite, il s'agit du premier défilé organisé avec seulement six mannequins en chair et en os, accompagnés de tout un cortège d'hologrammes si fabuleusement réussis que le spectacle (très beau) consiste en un "devinez qui" rythmé par des rencontres/chocs entre humains et fantômes.
L'AVIS DE LA BOULE DE CRISTAL DISCO D'UNIK
Cela fait longtemps que les hologrammes existent. Comme souvent avec l'art digital, il reste à en faire quelque chose. Ce défilé-spectacle qui pourrait sortir d'une page d'un roman cyberpunk de William Gibson ("Idoru") donne une piste. Sérieusement, il vaut la peine d'être regardé en entier. Ses limites sont criantes - son côté armée en marche, robots (il faudrait le regarder en écoutant du Kraftwerk, bien sûr), travail à la chaîne, trahit la difficulté du genre holographique - ça bouge bien peu, tout ça. On est loin de la liberté et de l'abandon à la joie de "Singing In The Rain", avec ces mannequins qui semblent tous plongés dans l'amidon, et qui défilent comme une armée de soldats de plomb. C'était sans doute une bonne intuition d'utiliser ce procédé pour un défilé de mode. Le genre bouge si peu! Malgré tant d'essais. S'il y avait une chose à changer dans la mode, ce serait bien ça. Parce que l'horreur, c'est que même les mannequins vivants continuent à se comporter comme des... mannequins. Donc finis les mannequins! C'est le mot qui tue la vie dans la mode. Ça ne vous paraît pas encore évident?
La Gaîté Lyrique, 3 bis rue Papin 75003 Paris, organise du 21 avril au 17 mai une exposition dédiée aux animations numériques (comment traduire "motion design"?) de l'anglais Matt Van Pyke et de son studio, Universal Everything - un beau nom. Les organisateurs voient dans ses productions une "vision super-romantique de la technologie", ce qui paraît souvent excessif au vu d'un travail la plupart du temps de commande, qui consiste surtout à réinterpréter avec des moyens modernes les logos ou les campagnes publicitaires de MTV, AOL, Nokia, Audi ou Chanel. Il y a néanmoins une certaine beauté dans ces vidéos, de la fraîcheur (peut-être un peu trop légumière du marché, ou monsters poilus, avec le côté clin d'oeil sympa de la communication publicitaire), mais de romantique, nada. On pourrait plutôt parler de maniérisme, puisque toutes ces diffractions/attractions/recompositions/réappropriations du numérique, qui a une tendance naturelle à jongler avec la font plus penser aux tableaux composés de fruits, légumes ou poissons d'Arcimboldo qu'à des tableaux d'Ingres, de Füssli ou de William Blake.
Pouvoir créer un monde à partir de rien (l'enjeu même du numérique), ce n'est pas à la portée de n'importe quel Dieu. Cette brève discussion sur ce que les mots veulent dire n'est pas un pinaillage (le romantisme, dans l'histoire de l'art, c'est le produit d'une histoire, d'une société, d'une vision - et des oeuvres), mais juste un rappel du fait que nous commençons seulement à nous interroger sur ce que nous pouvons créer avec des moyens qui vont vers l'infini (techniquement, le plus extraordinaire que nouas voyons aujourd'hui n'est qu'un début, que nous verrons dans dix ans comme nous regardons aujourd'hui du super 8 - une technologie balbutiante, et qui sera disponible pour n'importe qui dans tous les téléphones), et que nous n'y gagnons rien, dans cette interrogation si exigeante pour les artistes d'aujourd'hui, si neuve qu'elle laisse parfois pantelant, à tout mélanger, à baisser la garde, à dire des mots pour d'autres. Tout reste à créer. Pour l'instant, on fait des gammes. Inutile de dire qu'on fait des symphonies.
Mi Ami fut un des cent groupes post-punk de San Francisco (c'est dire à quel point ils avaient renoncé à avoir un avenir). Mais Daniel Martin-McCormick et Damon Palermo ont eu la bonne idée de mettre leurs guitares au clou pour s'acheter à la place des vieux TR 909 et Juno 106, c'est à dire une sorte d'avenir (puisqu'on en parle dans Unik), mais qui prendrait ses bases dans un son rock-futuriste et pré-rave des années 80 que vous reconnaîtrez tout de suite. Cela ressemble un peu à Devo. Un rien à un Talking Heads tombé dans la soupe électro, et qui serait resté muet. Il y a des petits bouts de Jean Michel Jarre qui flotouillent, et la ligne de basse reste derrière la ligne blanche de "White Lines (don't do it)". L'énergie du morceau est belle, et la diction haut perchée plus blanche que blanche du chanteur rappelle Johnny Rotten se la jouant funky avec Afrika Bambaataa.La vidéo, elle, est minimale, et pioche directement dans ces montagnes de VHS 80's que nous avons tous eu le tort de jeter à la poubelle avec le magnétoscope. James Dean y fait une petite apparence sous forme de tee-shirt (c'est ça, être une légende: devenir un tee-shirt, et danser sur les seins des filles qui ont du goût). Elles ont un brushing. Elles se promènent à Malibu. Et probablement, elles en boivent un.
Mi Ami: Hard Up (Thrill Jockey Records)
L'AVIS DE LA BOULE DE CRISTAL DISCO D'UNIK
La nostalgie est une revanche qui se mange froid, camarades! Au début des années 80, le pire de la crise économique post-choc pétrolier passé, les Punks disparaissent, et l'on découvre... la danse! l'électronique! les night clubs! le funk! l'énergie! la new wave! C'est une période optimiste et charmante (gothiques à part) où Bowie chante "Let's Dance", et où des gens intelligents comme Gang of Four n'ont plus peur de faire du bruit qui rythme. Voilà. Les blancs ne dansent que quand la crise est passée, depuis les Roaring Twenties, jusqu'au grand boom rock'n'roll des années 50. Ici, évidemment, on n'invente pas la lune. Mi Ami n'est pas le grand groupe qui annonce la sortie de la crise. On est plutôt ici dans la parodie cruelle (la vidéo, totalement) du regain d'optimisme et du retour en forme des 80's, puisqu'on mime quelque chose qui fut, en évoquant Devo qui dès le départ se moquait de ce nouveau goût pour le futurisme, en place de créer quelque chose qui pourrait être. Futurisme pervers à trois bandes. Adidas, quelqun?
Depuis toujours, on part à la ville pour écrire sa vie. Tant à la campagne, elle est déjà écrite. Il ne faut donc pas s'étonner que la grande ville nous fasse signe de tout part. Car nous ne sommes pas les premiers. L'environnement urbain est un embrouillaminis de lettres et de mots d'ordre, que seuls les mots de désordre des graffiti viennent parfois troubler, depuis Rome déjà. Comment y survivre autrement qu'en fermant les yeux, le plus souvent? C'est une opération inconsciente de salubrité mentale. L'oeil n'accroche plus. Il n'envoie plus de signaux. Le cerveau se repose. Que sont ces messages? Des numéros (plaques d'immatriculation, téléphones 36truc, numéros d'immeuble, de bus, prix des choses dans les boutiques - tout l'algèbre de ce qui compte). Des phrases qui se voudraient entraînantes comme un clin d'oeil (publicités, enseignes, couvertures des magazines dans les kiosques). Le citadin, qui voulait tant écrire sa vie, s'y laisse prendre, puis ne les voit plus, au bout d'un temps. C'est sans doute comme cela que certains insectes, intelligents, surentraînés, survivent à l'attrait des lampes de la nuit qui les brûlent. Nous sommes pareils. Et pourtant, nous vivons là. Il est donc bon que certains nous le rappellent. Tout ce que nous voyons sans le voir. Un jeune graffiteur et vidéaste français, Alvarez Alex, qui signe Ikanografik, a eu l'idée simple, et terriblement efficace, de surligner tout ce qui est écrit dans une deux rues de Paris et de Los Angeles, et de le faire apparaître et disparaître. Ainsi, sans nos oeillères, nous voyons le terrifiant spectacle d'une ville qui ne cesse de s'écrire pour ne rien dire ou presque, et de peur du silence, ou des mots des passants.
"Cette animation traite de l’abondance des signes dans la ville, et implicitement, de leurs disparitions. La rue digère tout et revêt différentes apparences au cours du temps. Les signes ont une espérance de vie limitée. A travers leurs dispositions, je tente de recomposer l’espace de la ville.
Street digests everything and takes on different appearances over time. The signs have a limited life expectancy. Through their provisions, I try to reconstruct the space of the city."
Alvarez Alex
Que faire, alors, dans nos villes, si l'on veut ni d'oeillères, ni retenir sa langue? Jouer avec les mots. Dériver. Surfer sur eux. Enfer Rochereau. France Télépommes. L'Excess et le Nouvel Conservateur. Herpès et Louis Vuittoni. Les Galeries Lafarfouillette. L'hôtel de nihil. La pairie de Paris. La salle des temps perdus. Se moquer de tout, et tout lire follement, justement, pour se réapproprier la cité de la joie. Et tout réécrire, pour y vivre sa vie.
Ce n'est pas un clip, même s'il y a de la musique. Ce n'est pas non plus la vidéo d'une collection, même si le réalisateur, Stephen J. Bell, travaille souvent pour la mode, et si l'amante anglaise, Taryn Andreatta, est bien sûr mannequin. Dans ce monde d'argent, on appellerait donc cela de l'art pour l'art, si c'était de l'art, mais ce n'en est pas non plus, ni du cinéma, même court. Disons que c'est un exercice de style, peut-être un gage d'amour. Écrit avec du noir mascara sur beaucoup de blanc. Il y a du charme. Quelque chose qui vaut la minute passée à le regarder. C'est peut-être le mystère du presque rien, qu'une certaine beauté de femme. Et nous dirons que c'est assez. Après tout, pourquoi faudrait-il toujours vendre quelque chose?